Письмо Вольтера

Je suis très sensible, Monsieur, à l’honneur que vous me faites, de m’envoyer votre livre « De l’excellence de la langue italienne ». Permettez – moi, cependant, quelques réflexions en faveur de la langue française que vous paraissez déprisez un peu trop.

Vous nous reprochez nos « ə » muets comme un son triste et sourd qui expire dans notre bouche. Mais c’est précisément dans ces [ə]muets qui consiste la grande harmonie de notre prose et de nos vers : empire, couronne, diadème, flamme, tendresse, victoire.

Toutes ces désinences heureuses laissent dans l’oreille un son qui subsiste encore après le mot prononcé comme un clav(e)cin, qui résonne quand les doigts ne frappent plus les touches.

Vous nous reprochez dans votre alphabet de nos misères de n’avoir qu’un mot pour signifier « vaillant ». Je sais monsieur que votre nation est très vaillante quand elle veut .

Mais si vous avez valente, prode, animoso, nous avons « vaillant, valeureux, preux, courageux, intrépide, hardi, animé, audacieux, brave », etc.

Ce courage et cette bravoure ont plusieurs caractères différents qui ont chacun leur terme propre. Vous ne connaissez que le mot de « savant » ajoutez- y, s’il vous plaît, doté, érudit, instruit, éclairé, habile, lettré. Vous trouverez parmi nous le nom et la chose.

Mais croyez-moi, monsieur, et ne reprochez à notre langue ni la rudesse, ni le défaut de prosodie, ni l’obscurité, ni la séch(e)resse.

Je finis cette lettre trop longue par une seule réflexion. Si le peuple a formé les langues, les grands hommes la perfectionnent par les bons livres, et la première de toutes les langues est celle, où il y le plus d’excellents ouvrages.