Charles Cros

Le Journal de l’avenir - Газета будущего

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Le Journal de l’avenir - Газета будущего

Рассказ на французском языке - Le Journal de l’avenir - Газета будущего

(автор Charles Cros)

Le Collier de griffes

La Vision du grand canal royal des deux mers

(1874)

Je suis arrivé aux bureaux du Chat noir et j’ai été si écrasé parle le luxe asiatique des salons, que, roulant mon chapeau entre mes doigts, je me suis tenu deux heures dans un couloir sillonné par mille employés affairés, vêtus des uniformes les plus polymorphes et polychromes.
On m’a poussé dans une salle d’attente. Les draperies, les divans, les parfums qui brûlaient dans les coins, redoublaient ma timidité.
Pourtant, vaincu par la fatigue et l’émotion, n’osant me laisser choir dans les moelleuses ottomanes qui encombrent les salons de la Rédaction, j’avisai un petit tabouret canné à trois pieds et je m’y assis, m’en jugeant à peine digne.
Immédiatement un vertige inconnu m’a saisi : M. Grévy m’est apparu sous les traits de Jupiter, coureur de nymphes ; Salis tenait la lyre en Apollon et, souriant d’un air mystérieux, m’a chanté :
Sur ce trépied, le moins habile

Acquiert le flair d’une sibylle.

En effet, les murs semblaient s’éloigner, les plafonds devenaient des dômes de verdure tropicale, les mouches attardées de l’hiver se multipliaient sous forme de colibris gazouilleurs.
L’almanach-bloc (dont on décolle une feuille par jour) s’illuminait d’un éclat électrique et la date s’y lisait, fatale : 1er mars 1986.

— Pourquoi ce 9 à la place du 8 ?

— C’est bien simple, susurra Rodolphe, nous sommes plus vieux de cent ans.

— Mais alors, nous allons mourir ?

— Ne fais pas le malin. Tu sais bien que depuis l’invention du célèbre Américain Tadblagson, nos cervelles ont été exécutées en platine par la galvanoplastie ; que, quand elles seront usées, on nous en reposera un autre exemplaire pareil, puisque les moules en sont conservés et catalogués à l’Hôtel de Ville.

— Et où sommes-nous ?

— Aux bureaux du Chat noir.

En effet, autour d’une immense table d’émeraude, sont assis les rédacteurs. Ils ne sont pas beaux, les rédacteurs ; ils ont des figures de déménageurs ; ils sont tous vêtus de toile grise, avec un numéro d’ordre au collet. Tous ont une sorte de chapeau en forme de citrouille qui s’applique sur leur front par une série de touches, comme dans l’appareil à prendre mesure chez les chapeliers.

Cinq heures sonnent.

Les dix rédacteurs du bout se collent un téléphone à l’oreille gauche et écrivent de leur main droite sur du papier en bandes continues, qu’une machine déroule devant eux. À mesure que la surface se couvre d’écriture, elle est entraînée, à travers une rainure, dans le sous-sol où est l’imprimerie.

Alphonse Allais, en obligeant cicérone, m’expliquait les choses :

— Ce sont les rédacteurs de l’actualité, les téléphones leur révèlent ce qui se passe partout, et ils l’écrivent avec le talent qu’ils puisent dans ces singuliers chapeaux.
« J’allais oublier de vous dire que ces chapeaux contiennent des cervelles métalliques des meilleurs modèles, avec pile et accessoires. Les pointes qui touchent le front servent à envoyer les courants électriques, qui produisent le talent dans la tête la plus obtuse.
« Cette invention, due au célèbre Tadblagson, a transformé l’ordre social en rendant le talent proportionnel à la fortune. C’est ainsi que le plus grand génie de notre époque est le banquier Philipfill, qui a pu se donner le luxe de collectionner les cervelles les plus chères. Entre autres, on raconte qu’il a payé un million et demi la cervelle de Sarah Bernhardt, garantie conforme.
« Il résulte de là qu’on en a fini avec les revendications socialistes du siècle dernier. Maintenant l’axiome est : Pas d’argent, pas de talent. Il y a de très rares exceptions de gens sans le sou qui naissent avec de l’esprit : mais nos tribunaux en font prompte justice en les expropriant de leur cerveau, dont tout modèle revient à l’État.
« Le Chat noir de 1986, qui veut à tout prix intéresser ses lecteurs, a fait les plus grands sacrifices pour enrichir sa collection cérébrale. Ainsi les dix rédacteurs de fond, dont deux écrivent en vers, ont une valeur de plus de cinq millions sur la tête. Celui-là, à gauche, a un cerveau Victor Hugo ; voyez-le du reste. Cinq heures dix... il a écrit déjà deux cents vers, vingt par minute. »

Je me penche avidement pour lire quelques vers ; le papier courait si vite que je n’ai pu lire que ceci :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La roue en grès rugueux entraîne l’eau de l’auge,

Et la lame d’acier chuinte, siffle et se tord

Il faut que l’acier cède au silex qui le mord,

Il faut que l’éclair brille en ce contact suprême

Comme l’éclair des yeux de l’amante à qui l’aime.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Oh ! ceci sera probablement coupé à la correction. La cervelle du porteur influe, et quelquefois un peu trop, sur le travail. Celui-ci est émouleur et il a mis des choses de son métier.
« Nous prenons, comme vous voyez, nos rédacteurs dans les classes les plus modestes ; ils sont plus réguliers, moins chers, et mettent moins de leur propre fond dans le travail.
« Nous groupons parfois, pour avoir des effets inattendus, deux ou trois cerveaux différents. Voyez, par exemple, ce rédacteur qui ploie sous ses deux chapeaux superposés. Il porte outre son cerveau à lui (qui n’a que peu d’effet), celui de Th. de Banville, le poète, combiné avec celui d’un avocat connu de quelques érudits.
« Je vais, avec mes ciseaux, couper ce qu’il vient d’écrire ; — il ne s’en apercevra pas — et vous jugerez de l’effet. »

Voici ce qu’il y avait sur la bande coupée :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je l’eus par un beau soir (toutes choses égales D’ailleurs).

Or, ses parents étaient de vulgaires et pâles Tailleurs.

J’avais le cœur, bien qu’elle eût horreur de l’étude Féru...

Mais nul, alléguant, dit Cujas, sa turpitude, N’est cru.

Qui lui fit ce regard, sous ces éclairs de poudre, Profond ?

Poser la question, mon cœur, c ’est la résoudre Au fond.

Je lui dis : — Tu n ’auras de moi pas une pierre, Pas un

Diamant, ni louis, ni franc, ni bock de bière, Corps brun !

Payer ? Jamais ! Si son corps amoureux qui vibre Changeait ?...

J’aime mieux sagement garder ton équilibre, Budget !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Ce soir, ça n’a pas de sens ; mais quelquefois ça étonne le lecteur.

« Cinq heures et quart... Stop ! La copie est finie. Tous les rédacteurs posent plumes et téléphones. Tous remettent leurs chapeaux dans des cases numérotées et s’en vont, idiots comme avant de s’être coiffés, toucher chacun 3 fr. 50 à la caisse.
La rédaction n’est rien, comme frais, comparativement aux dépenses de personnel administratif et de matériel.
« Le matériel ? ça ne m’étonne pas qu’il soit cher. Figurez-vous des serres immenses, remplies de palmiers, d’orchidées, sillonnées d’oiseaux-mouches et de colibris ! — ces colibris sont même gênants.
« L’Américain Humbugson vient heureusement d’inventer une poudre colibricide.
« Et les murs qu’on voit si loin, là-bas, et ces rochers abrupts, sont en béton aggloméré lumineux pendant la nuit.
« Je ne vous parle pas du sous-sol pour l’imprimerie, où l’on n’imprime pas ; car ce sont des personnes d’une voix exquise qui dictent la copie à des phonographes dont les traces reproduites à des millions d’exemplaires vont porter le journal parlé aux abonnés.
« Personne ne sait plus lire ni écrire — c’est le progrès ! — à cause dudit phonographe. On ne trouve que quelques gens arriérés dans ce sens parmi la lie du peuple ; — ce sont ces gens qu’on emploie à la rédaction... »

Crac ! mon tabouret canné à trois pieds s’est cassé sous mes contorsions.

Et je retombe dans notre triste époque, dans les bureaux d’un journal en 1886.

Quelle piètre installation que la tienne, mon pauvre CHAT NOIR !

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